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Trifecta, connaissez-vous ce mot ? Aux États-Unis, il décrit une situation politique où l’exécutif et le législatif sont de la même couleur politique. Ce sera le cas après la passation de pouvoir le 20 janvier prochain. Non seulement la Maison Blanche sera rouge, après la victoire confortable de Donald Trump le 5 novembre dernier, mais le Sénat et la Chambre des Représentants aussi. Une situation rêvée pour un nouveau président, bien que la majorité idéale au Sénat est à 60 voix et non 50 pour une bonne partie des textes de loi, ce qu’il n’aura pas. Comme pour Joe Biden et les démocrates en 2020, une telle configuration traduit donc un certain succès électoral. Mais avec cette fois une cerise sur le gâteau: une Cour Suprême à majorité conservatrice. Mention très bien donc pour l’élève redoublant Trump. Comment expliquer cela ?
Un retour sans précédent
La victoire confortable de Donald Trump, avec en prime une avance sur le vote populaire pour la première fois en trois tentatives, va entrer dans les livres d’histoire. Non seulement il a signé mardi 5 novembre dernier sa meilleure performance au collège électoral et au vote populaire mais il est parvenu aussi à sortir victorieux d’une situation qui aurait signé la fin de carrière de n’importe quel autre politicien. En effet, ni l’attaque du Capitole par ses partisans, ni ses multiples ennuis judiciaires, ni ses sorties à caractère autoritaire ou xénophobe, ni la fin de la protection fédérale du droit à l’avortement n’auront eu d’impact négatif sur sa compétitivité, ce que tendaient à montrer les derniers sondages pré-scrutin.
La victoire de Donald Trump est d’autant plus impressionnante qu’elle est nette et sans bavure: aucun suspens durant la nuit électorale avec l’ensemble des états clés qui ont viré rouges, deux millions de voix d’avance sur Kamala Harris selon les dernières estimations et une progression visible dans des pans de l’électorat qui ne lui étaient pas acquis avec des gains conséquents chez les Latinos notamment. Mais surtout, il a stabilisé son avance dans l’électorat blanc, de loin le premier corps électoral en nombre. Les fidèles MAGA ont donc répondu à l’appel mais ont aussi entrainé avec eux de nouveaux électeurs qui penchaient jusque-là plutôt vers le Parti démocrates, notamment les hommes issus des minorités.
Une déroute démocrate
Qui dit succès important de Donald Trump et des républicains, dit aussi crash pour Kamala Harris et les démocrates. Tandis que la vice-présidente ne parvenait pas à maintenir la trajectoire qu’elle s’était fixée pour arriver à 270 Grands Électeurs - avec en plus des difficultés dans les zones démocrates - son parti a vu parallèlement ses ambitions de maintenir la majorité sur au moins une des deux chambres du Congres s’envoler. Alors que le dépouillement a débuté à minuit heure française, les carottes ont commencé à cuire dès 2h du matin avec un état de Virginie - non clé - qui peinait à virer bleu. La suite n’a fait que confirmer ce mauvais présage pour déboucher in fine sur un KO en fin de matinée.
Si dans un rôle de pompier de service l’ancienne sénatrice de Californie n’a pas démérité, en évitant une erreur fatale ou en gagnant le seul débat TV, elle n’a pas réussi à convaincre suffisamment au delà du noyau dur démocrate. Sa campagne a pâti d’un programme bâti dans la précipitation et du boulet de l’impopularité de l’exécutif. Le tout saupoudré évidemment d’une dose de sexisme et de désinformation mais aussi d’une normalisation flagrante des excès de l’ancien futur président. Difficile dans ces conditions et avec à peine 100 jours de campagne de faire des miracles. Il lui a ainsi manqué près de 4 millions de voix pour rééditer le score massif de Joe Biden en 2020.
Il semble donc qu’elle soit parvenue à réveiller la base militante démocrate, en état de décomposition avant que le président de 81 ans ne se retire de la course, mais que la décharge électrique ne se soit pas suffisamment diffusée au delà.
Comment expliquer ce scénario ?
Tout un tas de facteurs peuvent être mis en avant pour expliquer le succès électoral de Donald Trump mais l’inflation et l’immigration semblent avoir été les deux principaux moteurs de celui-ci. Au second plan, il est possible de mettre aussi en avant les questions culturelles et notamment les droits des personnes transgenres instrumentalisées par la campagne Trump durant la campagne alors même que la démocrate n’en a pas parlé.
Le mécontentement d’une majorité d’Américains sur le pouvoir d’achat est documentée depuis l’explosion mondiale des prix en sortie de crise sanitaire. Si les salaires ont augmenté fortement aux États-Unis depuis, les hausses n’ont pas permis de réduire ce sentiment, voire cette réalité, de déclassement économique. Rien de surprenant alors de constater dernièrement dans les enquêtes d’opinion que ce sujet était l’une des principales préoccupations des électeurs.
A cela s’est ajoutée la crise migratoire qui a frappé la frontière sud des États-Unis durant une bonne partie du mandat de Joe Biden. Ce dernier a probablement fait l’erreur de lever une partie des restrictions (parfois contraint par la justice) mises en place par son prédécesseur et a tardé à agir par décret quand le sujet devenait brûlant. Si les Américains ne sont pas contre une immigration légale et choisie si l’on en croit les enquêtes d’opinion, l’afflux massif de personnes en situation irrégulière est de plus en plus mal vécu au sein de la population (minorités comprises, en particulier Latinos) provoquant ainsi un mécontentement d’une bonne partie de l’électorat.
Sur ces deux sujets brûlants, Donald Trump était vu comme le plus compétent. Il en a in fine tiré les bénéfices dans les urnes malgré l’avance de Kamala Harris sur deux autres thématiques importantes: l’avortement et la démocratie. Le portefeuille et la frontière ont donc visiblement pris le pas sur le droit des femmes à disposer de leurs corps et l’état de droit. Pour preuve, la vice-présidente n’a fait aucun gain chez les femmes.
Kamala Harris a-t-elle été une mauvaise candidate ?
La défaite démocrate a entrainé un choc et beaucoup cherchent aujourd’hui un coupable. Sans surprise Kamala Harris est en haut de la liste des suspects. Elle n’aurait pour les uns pas assez été à gauche, pour les autres elle aurait manqué d’authenticité, certains estiment aussi qu’elle aurait été trop sur la réserve ou encore qu’elle n’aurait pas suffisamment parlé des sujets importants pour l’électorat. Bref, une coupable idéale.
Pourtant, il est à noter qu’elle devrait frôler les 76 millions de voix selon les estimations, ce qui constituerait un quasi-record puisque Joe Biden est le seul à avoir fait mieux chez les démocrates jusqu’ici. Elle a donc su mobiliser sur son nom, pas suffisamment certes, mais n’aura pas « 10 millions de voix de retard » comme on a pu l’entendre ad nauseam depuis mardi. L’écart final avec Donald Trump au vote populaire ne devrait être ainsi que de 1.5 points.
A cela s’ajoute le fait qu’elle a évité un probable carnage électoral en remplaçant Joe Biden au dernier moment. Dans un récent sondage post élection YouGov, qui a interrogé des sondés sur leur comportement électoral si le duel avait été Joe Biden vs Donald Trump, le républicain devance le démocrate de 7 points. Un écart très important, synonyme probablement de raz de marée avec la perte d’états non clés acquis aux démocrates tels que le New Hampshire voire la Virginie.
Chacun se fera son avis sur ce qui n’a pas fonctionné, parfois même en fantasmant sur des causes que les données ne rapportent pourtant pas, mais ces quelques éléments m’amènent à penser trois choses:
1- Les vents contraires étaient beaucoup trop forts, plus forts qu’anticipé, pour qu’elle puisse inverser la tendance.
2 - Kamala Harris s’est sacrifiée pour une cause probablement perdue d’avance.
3 - Aucun démocrate n’aurait pu faire beaucoup mieux qu’elle.
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Merci pour l’analyse Théo !
Je me faisais la réflexion qu’on parle très peu du fait que c’est du jamais vu: les Américains n’aiment pas les loosers, c’est pour cela qu’il est très rare de voir des candidats qui ont échoué revenir (et gagner). Contrairement à la France où les mêmes candidat.e.s se représentent encore et encore, ce n’est vraiment pas dans la culture américaine. Jusqu’à maintenant !
Bien sûr, on note que Donald Trump n’a jamais reconnu sa défaite. Car s’il avait reconnu être un “looser”, il n’aurait pas pu revenir comme il l’a fait je pense. My two cents :-)
Merci de m'avoir fait découvrir le mot "trifecta" !