Le moment clé du débat Harris - Trump
Ou comment la vice-présidente est parvenue à faire dérailler l'ancien président.
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Si le premier débat présidentiel entre Donald Trump et Joe Biden avait largement tourné en faveur du républicain et amené le président à se retirer de la course pour laisser sa place à Kamala Harris, ce second face à face à moins de 60 jours de l’élection a laissé une toute autre impression. Non seulement la vice-présidente a été en capacité de défendre correctement sa candidature mais elle a aussi dominé son adversaire sans contestation possible. Comment? En le piégeant et en l’obligeant ensuite à être la majorité du temps sur la défensive.
Après un bon départ sur l’économie, un sujet sur lequel il conserve du crédit auprès des Américains, le milliardaire a déraillé suite à une moquerie discrète de sa concurrente sur ses meetings et notamment ses errements à la tribune ou encore l’ennuie qui s’empare désormais parfois de son audience.
KAMALA HARRIS : Je vais faire quelque chose de vraiment inhabituel et vous inviter à assister à l'un des rassemblements de Donald Trump, car c'est très intéressant à observer. Vous verrez qu'au cours de ses meetings, il parle de personnages de fiction comme Hannibal Lecter. Il dit que les éoliennes causent le cancer. Vous remarquerez également que les gens commencent à quitter ses meetings plus tôt que prévu, par épuisement et par ennui. Et je vais vous dire la seule chose dont vous ne l'entendrez pas parler, c'est de vous. Vous ne l'entendrez pas parler de vos besoins, de vos rêves et de vos désirs. Et je vous le dis, je crois que vous méritez un président qui vous fasse passer en premier. Et je m'engage à le faire.
Il était alors question d’immigration - l’un des sujets les plus favorables pour lui - au moment où elle a sortie de sa besace cette petite flèche empoisonnée. Son égo n’a pas supporté le passage sur le départ anticipé de ses supporters et lui a fait alors plus ou moins perdre le fil du débat. Car Donald Trump encaisse tout ou presque sauf les moqueries sur ses meetings dont il est si fier et qui font sa force depuis huit ans.
DONALD TRUMP : Permettez-moi tout d'abord de répondre à la question des rassemblements. Elle a dit que les gens commençaient à partir. Les gens ne vont pas à ses rassemblements. Il n'y a aucune raison d'y aller. Et ceux qui y vont, elle les fait venir en bus et les paie pour qu'ils soient là. Les gens ne quittent pas mes rassemblements. Nous avons les plus grands rassemblements, les plus incroyables rassemblements de l'histoire de la politique. C'est parce que les gens veulent reprendre leur pays. Notre pays est en train de se perdre. Nous sommes une nation en déliquescence. Et cela s'est passé il y a trois ans et demi. Et ce qui se passe, ce qui se passe ici, vous allez finir dans la troisième guerre mondiale, juste pour aborder un autre sujet. Ce qu'ils ont fait à notre pays en permettant à des millions et des millions de personnes d'entrer dans notre pays. Et regardez ce qui arrive aux villes de tous les États-Unis. Et beaucoup de villes ne veulent pas parler - je ne parlerai pas d'Aurora ou de Springfield. Beaucoup de villes ne veulent pas en parler parce qu'elles en sont gênées. À Springfield, ils mangent les chiens. Les gens qui sont venus. Ils mangent les chats. Ils mangent... ils mangent les animaux de compagnie des gens qui vivent là. Et c'est ce qui se passe dans notre pays. Et c'est une honte. En ce qui concerne les rassemblements, la raison pour laquelle ils y vont est qu'ils aiment ce que je dis. Ils veulent ramener notre pays. Ils veulent rendre à l'Amérique sa grandeur. C'est une phrase très simple. Rendre à l'Amérique sa grandeur. Elle est en train de détruire ce pays. Et si elle devient présidente, ce sera le Venezuela sous stéroïdes.
Les téléspectateurs ne s’en sont pas aperçus tout de suite mais la partie venait de se jouer devant leurs yeux.
DAVID MUIR : Je tiens à préciser que vous avez parlé de Springfield, dans l'Ohio. ABC News a contacté le directeur de la ville. Il nous a dit qu'il n'y avait pas eu de rapports crédibles sur des plaintes spécifiques concernant des animaux domestiques blessés ou maltraités par des membres de la communauté immigrée...
DONALD TRUMP : Eh bien, j'ai vu des gens à la télévision... Les gens à la télévision disent que mon chien a été pris et utilisé pour la nourriture. Alors peut-être qu'il a dit cela et peut-être que c'est une bonne chose à dire pour un directeur municipal.
DAVID MUIR : Je ne me fie pas à la télévision. Je le tiens du directeur général de la ville.
DONALD TRUMP : Mais les gens à la télévision disent que leur chien a été mangé par les gens qui sont allés là-bas.
DAVID MUIR : Encore une fois, le directeur de la ville de Springfield dit qu'il n'y a aucune preuve de cela.
DONALD TRUMP : Nous verrons bien
Et c’est après ce passage lunaire que la vice-présidente a fini d’enfoncer le clou.
KAMALA HARRIS : Si vous voulez vraiment savoir qui est l'ancien président, s'il ne l'a pas déjà dit clairement, il suffit de demander à ceux qui ont travaillé avec lui. Son ancien chef d'état-major, un général quatre étoiles, a déclaré qu'il méprisait la constitution des États-Unis. Son ancien conseiller à la sécurité nationale a déclaré qu'il était dangereux et inapte. Son ancien secrétaire à la défense a déclaré que la nation, la république ne survivrait pas à un autre mandat de Trump. Et lorsque nous écoutons ce genre de discours, lorsque les problèmes qui affectent le peuple américain ne sont pas abordés, je pense que le choix est clair dans cette élection.
En position de force après cette passe d’armes, Kamala Harris a continué habillement son assaut jusqu’à la coupure pub renforçant ainsi son ascendant sur un candidat républicain visiblement impréparé et passablement frustré. Le rapport de force ne s’est ensuite jamais inversé et la démocrate a pu dérouler son récital sans accroc jusqu’à la fin.
L’image renvoyée par Donald Trump hier soir a été celle d’un homme à l’égo surdimensionné mais fragile et donc facile à déstabiliser. Un homme qui semble aussi avoir perdu ce qui a fait sa force dans le passé: son bagou. S’il a pu maintenir l’illusion lorsqu’il était encore face à Joe Biden, l’arrivée de Kamala Harris a changé la donne. Le milliardaire ne peut désormais plus se cacher derrière un adversaire fatigué qui n’est plus à même de mener une campagne efficace. Un élément qu’il n’a pas encore intégré si l’on en croit sa piètre performance. De ce débat, on retiendra sa défaite sur le fond et sur la forme mais surtout l’impression qu’il n’est parfois plus qu’une caricature de lui-même.
On retiendra bien évidemment aussi la réussite de la vice-présidente. Sous estimée à tord, elle a su éviter les pièges tout en gardant le contrôle sur l’entièreté de ce grand oral. Elle confirme ainsi sa capacité à mener une campagne de grande envergure et fait peu à peu taire les dernières critiques.
Reste à savoir désormais si ces deux heures en prime time auront un quelconque impact sur la suite de la campagne et l’élection du 5 novembre prochain. Rappelons tout de même que le républicain bénéficie d’un système électoral favorable et d’un soutien suffisamment fort pour en tirer profit. S’il reste toujours largement compétitif malgré ses ennuis judiciaires, je crois cependant pouvoir dire sans trop me tromper qu’il n’a jamais paru aussi emprunté et faible lors d’un face à face télévisé qu’hier soir. Mais comme l’a récemment rappelé Bill Maher, l’élection dépend “de quelques milliers d'électeurs dans trois États qui n'arrivent pas à choisir entre deux plats sur le menu”. Seront-ils enfin parvenus à passer commande après cette présentation ?